Père Godefroy
Je viens d'apprendre votre mort, Père Godefroy. Votre portrait en noir et blanc est magnifique. Vous regardez l'objectif avec malice, votre sourire caractéristique aux lèvres. Vous êtes un beau vieux, sur cette photo. Je vous sens libre. Dieu sait pourtant si la vie à la Trappe pouvait être éprouvante, pouvait même manquer de charité parfois, sous couvert d'ascèce. Ascèse mal placée à laquelle votre humour avait survécu, et votre sens critique aussi. J'aimerais vieillir comme vous, Père Godefroy, j'aimerais vieillir comme vous.
Ma vie à la Trappe fut faite de joies, de paix et de trouble et de souffrance aussi. Encore n'ai-je pas vécu ce que nos frères Michel, Aelred, Armand ont souffert, au point de perdre pied à certains moments. Que sont ces frères bien-aimés devenus ?
Frère Elie avait trouvé son socius, sa façon d'être, vous ne trouvez pas ? Moi, je la cherchais, ma façon d'être. En relisant les rencontres que j'ai faites dans ma vie, je me vois jouer un personnage de type sympa et mystique, quelqu'un à part, admirable. Mais aimable ? Oui, je cherchais ma façon d'être, comme qui chercherait la martingale, un être-au-monde qui me protègerait des méchants, méchantes pensées, méchantes gens. Frère Elie l'avait trouvée, cette façon d'être, même si je soupçonne son altercation avec Frère Michel d'avoir révélé le défaut dans la cuirasse--altercation pour cela même insupportable, comme est insupportable le messager d'une terrible nouvelle.
Je gamberge, frère Elie, ne le prenez pas pour vous, qui êtes mort depuis quelques temps aussi, nous en reparlerons tranquillement au Ciel.
Ce que vous me dites tous deux, mes frères, c'est ceci : ne cherche pas une façon d'être, c'est une voie de mort, réjouis-toi de n'en avoir pas trouvé, c'est un chemin de vie. Ah oui, mais je cherchais l'ataraxie, et la façon d'être qui me l'aurait fournie. Certes, mais souhaites-tu vivre derrière des remparts, fussent-ils par toi élevés ? Non, Pascal, le prix à payer, cette insatisfaction--non, je ne suis pas admirable, oui, je cherche comme quiconque en ce monde--ce prix, cette insatisfaction sont réels, mais que reçois-tu ? Tu reçois la vie, et la vie d'enfant du Seigneur qui n'attend rien de plus que ta foi.
Merci, frères, merci. Je vous ai admirés, vous m'avez aimé. Merci, frères, merci. Priez pour moi le Christ que face à face vous voyez. Amen.