A propos de ton désir d'arrêter ton cursus avant le diplôme

Hier, mon grand, nous avons parlé de toi avec Ivan.

Ca m'a bien remué. Il me dit : "Il n'y a pas de vie ratée quand on fait ce qu'on aime." Et aussi "Il n'y a pas que Sciences Pô dans la vie." Et aussi "Il faut choisir une vie où tu apprends tous les jours ; lorsque tu cesses d'apprendre, tu es mort." Et encore : "Et si, toi, le papa, tu avais quelque chose à résoudre toi-même, avant de parler à ton fils ?"

Trois choses me viennent à l'esprit.

1. J'ai souffert de l'injustice qu'on me faisait dans ma première entreprise : moins bien payé, moins considéré, sous prétexte que j'avais fait une école d'ingénieurs de seconde zone ; pour moi, le DEA à Sciences Pô Paris était un rattrapage, mettait un point final à mon complexe d'infériorité.

2. La Trappe, Daddy n'avait jamais voulu que j'y entrasse ; mais lorsque j'y fus et que j'en revins, il me dit : "Qu'est-ce que tu fais là ?" Je posais un acte libre, et en même temps c'était bel et bien moi qui avais décidé de la vie à la Trappe ; l'approbation de mon père valait-elle à mes yeux envoi en mission ?

3. J'ai eu en troisième année un gros coup de barre dans mon école d'ingénieurs : je trouvais tous les défauts à l'enseignement, à l'encadrement, j'avais du mal avec les maths / statistiques, j'en avais marre de la vie d'étudiant décalé que je vivais, je voulais rentrer à la Trappe. Je l'écrivis à Daddy qui m'a répondu : "Qu'est-ce que deux ans de ta vie à consacrer à fonder ta liberté, oui, ta liberté ! Un diplôme en poche, tu seras libre de décider de ta vie, dans ou hors de la Trappe ; sans diplôme, tu sera accueilli, certes, mais tu seras soumis à l'arbitraire des autres pour réaliser tes désirs, même les plus légitimes." Sorti de la Trappe pour vivre librement dans le monde, j'ai vérifié combien Daddy avait bien vu et combien j'avais été sage de m'accrocher à terminer mes études jusqu'au diplôme (qu'à l'époque je n'imaginais guère utiliser).

Ivan m'a parlé de son ami Robert, qui dirige une ONG humanitaire. Il m'a parlé aussi de sa propre expérience d'éducateur spécialisé, des enfants des rues. Il m'a dit qu'il t'invite, qu'il serait heureux de t'écouter et de partager avec toi.

Mon grand, j'ai besoin de temps pour te parler, et encore plus pour t'écouter. J'ai besoin de travailler, ou de laisser le travail se faire en moi.

Je t'invite à agir en homme libre et responsable. Selon moi, cela signifie que tu discernes avec soin avant de décider de changer de vie, et que tu saches rendre compte de ta décision, de ton choix.

Je t'invite à discerner avant de choisir. Comment faire ? En parlant à des personnes en qui tu as confiance, en cherchant un autre son de cloche que celui qui te séduit à l'instant, en comparant les options du choix et en écoutant, avec liberté intérieure, ce que ton coeur et ta tête te disent à propos de chacune. Que nul ne te dicte tes choix, c'est ce que je te souhaite.

Discerne, choisis, agis et sois heureux.

Papa.