Foi en l'Homme ?

- Et je te dis qu'il avait foi en l'homme.

- En quoi ?

- Il a eu foi en moi, il m'a invité à aller plus loin.

- C'est du discernement, il me semble.

- Oui, il a discerné en moi des potentialités.

- Pour d'autres, je doute de son discernement, justement. Fr. A. était l'archétype du convers, il l'a invité à la prêtrise, l'a positionné comme chantre et l'a nommé prieur.

- Fr. A. s'est écroulé. Il était miné par ses fragilités psychiques.

- Qui relèvent d'un discernement, encore. P. Abbé l'a emmené à des endroits irréalistes, comme si ses limites psychiques devaient être dépassées. Je pense que P. Abbé n'avait pas foi en l'homme, qu'il avait foi en la grâce.

- Une grâce magique ?

- Oui, une grâce qui transcende les constructions psychiques.

- Comme un endosquelette ?

- Hum, un peu comme ça, oui.

- Mais alors, comment dis-tu, foi en l'homme ?

- Foi en les potentialités dont l'Homme, avec un grand H, est pourvu.

- Comme lorqu'on parle d'hypnose, ou de méditation en pleine conscience ?

- Oui, des choses qu'on peut apprendre, car nous sommes ainsi câblés, dans notre espèce.

- C'est vrai qu'au noviciat, nous n'avons pas été formés à la contemplation, ni même à la lectio divina.

- Et moi qui baignait dans les Pères du Désert et autres écrits d'hygoumènes contemporains, je voyais des signes de sainteté en des phénomènes dont chacun a les potentialités.

- Comme quoi ?

- Comme la perte de la notion du temps en prière. Ca relève de la transe hypnotique. Toute personne devant Youtube expérimente que le temps s'écoule cent fois plus vite devant les vidéos.

- Ca n'est pas de la contemplation.

- Certes, c'est juste que je croyais que perdre la notion du temps était un signe que j'étais touché par la grâce. Non, c'est juste que j'étais alors en transe hypnotique. 

- Transe hypnotique où chacun peut rentrer par auto-hypnose ?

- Oui, c'est cela. La capacité d'auto-hypnose, nous l'avons tous.

- Mais n'est-ce pas s'arroger la grâce que d'apprendre à utiliser ces ressources psychiques humaines ?

- Question janséniste : l'Homme est-il si pourri que même ses plus beaux élans ne sont que chimères ? Réponse janséniste : Ah que oui !

- Va pour les jansénistes. Mais pour moi, apprendre à utiliser mes ressources psychiques, ce serait singer la contemplation, la vraie.

- La méditation en pleine conscience, il me semble, me préparerait bien à la contemplation, sans en être en soi.

- Il s'agirait non de convoquer Dieu, mais de se préparer à la grâce, alors.

- Oui, se préparer à la grâce avec les moyens que Dieu a mis en nous.

- Comme si Dieu croyait en l'Homme, mettant dans notre caisse à outil ce qu'il faut pour converser avec lui...

- Et suffisamment caché pour que ce soit volontaire de notre part que de répondre à son invitation à converser. 

- Il devrait y avoir des guides, des méthodes, alors, pour se préparer à la grâce.

- Oui, j'en connais une : "Ouverture à la contemplation", du Père Jalics, sj.

- Il me semble que nous l'avons au noviciat.

- Je suis tombé dessus par hasard, dans la bibliothèque des hôtes à Mariawald. J'ai été scotché : j'ai reconnu le guide dont j'avais soif depuis si longtemps !

- Et alors ?

- Alors, je suis rentré dans la démarche proposée par le P. Jalics et j'en suis heureux.

- Transformé, même ?

- Je ne sais si j'en suis transformé. En tout cas, j'ai compris dans ma chair combien est importante cette question : croyons-nous en l'Homme ?

- La question du départ...

- Oui, LA question. Et cela inspire mon être-au-monde aujourd'hui, ma profession.

- En quoi ?

- Je me consacre à accompagner mes contemporains afin qu'ils dégagent du temps et de l'énergie à ce qui a du sens pour eux. Du temps de cerveau disponible. Du temps de cœur.

- Dirais-tu que tu as foi en l'Homme ?

- Oui, foi en l'Homme. Pas confiance dans mon discernement des autres, mais foi en l'Homme, assurément. 

- Hum. Intéressant.