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Ils amènent l'ânon (...) et Jésus s'assit dessus. Marc 11, 7.
2 juillet 2011

Merci, Père Abbé.

Ce samedi, P. Abbé est mort. Je me sens triste. Une page de sa vie est tournée, une page de la mienne aussi. 

Le texte suivant, je l'ai écrit voici 6 ou 7 ans. Puis, comme je rendais visite au monastère, P. Abbé est venu à ma rencontre et soeur M. était là, elle aussi. Dans ce triangle, j'ai évoqué ma tristesse, mon ressentiment et ma gratitude, finalement, qu'il m'ait malgré tout engendré à une liberté que je ne me connaissais pas. P. Abbé m'a écouté attentivement et nous nous sommes quittés le coeur en paix. 

Paix à vous, P. Abbé.

En lisant ce soir un ouvrage à vous dédié, je tombe sur la sentence : « Quelqu’un n’a-t-il pas toujours eu le sentiment d’une rencontre douce, d’une amitié vraie, après avoir fait la rencontre de cet homme? » S’agissant de vous, je m’entends répondre intérieurement : Non. Pas moi.

Depuis que je feuillette ce livre, je ressens un trouble, une amertume. Comme chaque fois que je pense à vous. Ce livre-là s’émerveille de tant de responsabilités, de tant de rayonnement de votre bonheur en Dieu. Vos responsabilités vous tenaient loin de la communauté où, par mon attitude, je tentais maladroitement d’attirer votre attention, d’appeler votre aide. Votre rayonnement, je ne l’ai pas ressenti sur moi --mais j’aurais bien voulu. Au monastère aussi, il faut savoir demander par la parole. Hélas, je ne pouvais parler de ce que je ne savais nommer. N’auriez-vous pas pu m’y aider ? Etait-ce dans vos attributions, ou dans vos goûts ?

Bien sûr, je vous ai remercié de m’avoir engendré à ma liberté lors de notre dernière entrevue au monastère. « Tu es libre », me répondiez-vous alors que je vous exprimai mon désir de partir. Sur le moment, quelle tristesse en mon cœur, mêlée malgré tout à la joie de décider de ma vie. Sept ans plus tard, je vous remerciai, certes, mais la tristesse était là. Ce soir encore.

Je dis à ma petite femme qui m’écoute silencieusement tout en travaillant : - C’est curieux, tu vois, je suis encore troublé, comme cet été après que le Père M. m’ait demandé : comment s’est-il produit que nul au monastère ne vous ait proposé de l’aide ? Je me dis que le père abbé, lui, aurait pu mettre sa main sur mon épaule et me dire ce qu’il en pensait, me faire un feedback amical, paternel. Seulement voilà, ses responsabilités dans l’Ordre l’éloignaient souvent et, le temps restant, m’aider personnellement ne lui apparaissait pas comme une priorité.

Et d’entendre à nouveau le souvenir du père qui avait marié mes parents. Un frère du monastère lui avait dit : Asellus, nous l’avons perdu. C’est nous qui l’avons perdu. Nous ne nous en sommes pas occupés et, quand nous nous sommes réveillés, il était en train de partir.

Et père E., à qui je venais rendre une dernière visite à l’infirmerie avant de quitter les lieux, qui me dit : Alors, tu abandonnes ta vocation ?

Et puis un apophtegme de mon père me revient : un père est fait pour séparer le fils de sa mère.

Une lumière se lève sur mon amertume : j’ai été séparé de mon rêve. Rêve de vie monastique, de vie entière donnée, absolument, au Seigneur, sous la forme monastique, dans une communauté de coules blanches éprises d’absolu.

Ainsi donc, vous m’avez séparé de mon rêve. Vous n’avez pas autorisé que je reste attaché à mon rêve d’enfant. Il m’a fallu trancher moi-même le lien --et c’est une décision difficile. 

Du coup, je me sens adulte, je me sens grandi (c’est la même chose, la traduction littérale du latin vers le français).

Oui, c’est cela que j’avais sur la langue et pourtant ne sus point répondre à père E. : J’abandonne non ma vocation --j’aime le Seigneur et il m’aime et me le dit--, mais mon rêve.

Le manque de proximité, votre éloignement, la rareté de vos regards sur moi, la parcimonie de vos encouragements donnés par la tangente, je vous les pardonne. Oui, père Abbé, je vous pardonne et, ce faisant, je saisis l’occasion que vous m’offrez paternellement de grandir.

Et à moi-même aussi, je pardonne. D'être si plein de mon rêve que votre parole de réalité, je n'aurais pu l'entendre -- est-ce pour cela que l'aviez tue?

Merci, Père.

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Commentaires
P
La vocation, ma vocation<br /> <br /> Les faits<br /> <br /> Père Delobre, vous me rapportiez qu’un homme entre dans un monastère bénédictin, le monastère lui ouvre un atelier selon ce qu'il sait faire. Inconcevable à la Trappe, me dis-je.<br /> <br /> Votre question à propos de la formation des pères immédiats : la première question est : êtes-vous heureux ? Si oui, on continue le questionnaire, sinon on s'arrête et on discute.<br /> <br /> La discussion à table sur être ou ne pas être jésuite. Etre ou ne pas être trappiste, voilà qui résonne en moi. <br /> <br /> Le charisme propre à l'ordre. Qu’est-ce qu’être jésuite ? Se peut-il que le charisme de tel ordre diffère de celui d'un autre ? Oui, certes. Se peut-il que le charisme de tel ordre suppose l'inverse du charisme d'un autre ? Si c’est le cas, s'interroger.<br /> <br /> Des questions se bousculent en moi : L'accomplissement dans une oeuvre, un service tant qu'il procure de la joie, versus la recherche de l'emploi contraint, contraire aux aspirations ? La communauté et le moine se sont-ils choisis comme mari et femme le feraient ? Non, les regroupements de communauté sont fréquents, ils n'impliquent pas la déshérence de la stabilité monastique. le pape est-il toujours jésuite ? Dans son interview, il parle en ignacien. Reste-t-il pour autant jésuite ? Propose-t-il pour autant l'approche ignacienne comme référence ?<br /> <br /> "Etes-vous jésuite ?" "Non, mais j'aimerais être compagnon de Jésus, laisser Jésus être mon compagnon."<br /> <br /> La discussion avec Jérôme. "Le P. Abbé n'avait pas foi en l'homme", me dit-il. Etait-ce de sa part une méfiance quant à la joie que procure l'accomplissement dans tel travail plutôt qu'un autre ? Dépouillement, dénuement exigés sur les savoirs et les aspirations. "Tu ne repousses pas un coeur brisé et broyé" étendu à la personne lambda--loin de la situation textuelle : celui qui vient de commettre une faute fatale. "Ma grâce te suffit". Il reste à discerner comment la grâce agit concrètement. Jeter quelqu'un dans la fournaise et lui rappeler la suffisance de la grâce, cela fait-il partie d'un charisme ? "Dieu seul suffit", bien noter, ce n'est pas dans l'Evangile. Il reste à définir qui est Dieu, ce Dieu-là.<br /> <br /> Le p. Abbé agissait-il de lui-même, ou se conformait-il à l'intelligence qu'il avait du charisme de l'OCSO, ou se conformait-il à des directives, us et coutumes formelles de l'OCSO ?<br /> <br /> Jérôme : "A ton départ, les frères ont demandé des comptes au P. Abbé." "Si Pascal n'est pas resté, qui restera ?" disaient-ils ? "Pascal, c'est nous qui l'avons perdu. Nous ne nous en sommes pas suffisamment occupé et, quand nous nous sommes réveillés, il était en train de partir."<br /> <br /> Jérôme : "Les frères âgés, des figures joyeuses, passionnées : qui n'aurait voulu être leur frère ?" "Aujourd'hui, des frères sans joie. Et 23 seulement." "J'ai su que, lorsqu'ils démonteraient la machine (à graver le bois), la Trappe était finie. Un tel génie, une telle créativité !" "Tu étais frontal, tu t'es opposé à l'abbé." « Lui demander d'aller chez Dom Ambrose Southey ! quel camouflet ! Lui dire ton désaccord quant à la fermeture de la ferme et l'ouverture du magasin ! »<br /> <br /> Les frères<br /> <br /> Frère Aelred, successivement ordonné prêtre, désigné comme chantre, choisi comme prieur, déprimé, sorti de la communauté, ouvrier agricole dans une ferme de vaches laitières. Des contre-emplois systématiques pour un paysan fils de paysan, force de la nature, joyeux et timide.<br /> <br /> Frère Armand au chœur, des tics nerveux envahissant tout son corps. Je demande au p. Abbé s'il a remarqué l'état dans lequel Fr. Armand se trouve. "Il est très attaché à la Vierge Marie, nous nous occupons de lui." Frère Armand partira cassé de la Trappe. Son cas relevait du délire, de la psychiatrie, pas de la mystique.<br /> <br /> Frère Bernard en voiture m'amène au train du retour à la vie civile et me dit : "Ca t'est devenu insupportable, la vie communautaire, c'est à cela que tu peux voir que tu n'es pas fait pour ça." "Les premières années à la Trappe sont faites pour mettre à nu, infantiliser." Ma réflexion aujourd'hui : pourquoi se mettre au dépouillement avec volontarisme quand la vie nous y met à sa façon, de toutes façons ? Frère Bernard comprenait-il ainsi le charisme de l'OCSO ? Frère Bernard était-il imprégné d'une approche propre au p. Abbé ?<br /> <br /> Mon parcours<br /> <br /> J'avais une approche romantique, certes, et n'était-ce pas un commencement comme un autre ?<br /> <br /> Frère Hugues était détendu, presque désinvolte quant aux rigueurs de la Règle de la vie monastique. Le p. Abbé entretenait avec lui une complicité, souvent ils parlaient ensemble—parler dans un ordre silencieux, n’est-ce pas le signe que ça ne va pas ? me disais-je. Je désapprouvais la désinvolture de Fr. Hugues sans envier ses relations privilégiées avec p. Abbé. N'aurais-je pas inconsciemment rejeté le p. Abbé, ne lui aurais-je pas dénié une certaine légitimité ?<br /> <br /> A mon arrivé, c'est P. Robert que je trouve père maître des novices, et non plus P. Emmanuel, qui m'avait reçu maintes fois les 7 dernières années. Je suis déçu, profondément. P. Robert fait ce qu'il peut, avec bon sens. Etait-il formé à son rôle de père maître des novices, et comment, à quoi exactement. Je l'ignore. La grâce lui suffisait-il ? En quoi la formation ne serait-elle pas instrument de la grâce ?<br /> <br /> L'emploi—ou plutôt le contre-emploi, une épine en moi. Je fais des études agricoles, l'Abbé annonce la fermeture de la ferme (une référence en France). Je fais des études d'ingénieur en agriculture, l'Abbé me propose un CAP de forestier quand les forêts de la Trappe sont coupées. Le p. Abbé me lance dans les archives, papiers poussiéreux loin du grand air. Le contre-emploi était pour moi une pratique si évidente que je me demandais comment des moines comme Dom Jean Leclerc, le Père Jacques, le Père Bernard avaient fait pour être autorisés à démarrer et poursuivre une œuvre où ils s'éclataient !<br /> <br /> Nul ne m'a pris par l'épaule et m'a dit : viens, tu n'as pas l'air heureux, parlons-en. J'étais certainement fermé. Mais aurais-je résisté à la proposition d'un frère plein d'empathie ? Probablement non. J'avais peur de ne pas être reçu au nombre des trappistes—la "voie royale", disait-on (et croyais-je)—et j’eus apprécié, qui sait, qu’un frère aîné m’aide sur ladite voie.<br /> <br /> Je savais que je déconnais parce que je n'étais pas heureux et je ne pouvais imaginer que Dieu me veuille malheureux. Je demande à P. Robert de consulter un psychiatre. Le Dr Sioly me reçoit, m'écoute pendant 45 minutes et me dit : "Vous me décrivez Dieu comme votre propre père : autoritaire et distant." "Dieu ne vous demande pas d'aller à la Trappe. Ce n'est pas ainsi que Dieu agit avec l'homme. Dieu vous demande de choisir votre vie puis il vous accompagne. Effectivement, Dieu vous veut heureux." Je me dis : je n'ai donc pas choisi librement d'entrer à la Trappe, puisque je croyais fermement que Dieu m'y voulait et ce n'est pas le cas, deux fois confirmé par mon malaise et par la parole du Dr Sioly. Je souhaite donc poser un choix de vie par moi-même. A 26 ans, ça me semble important, vital. La décision de faire mon choix de vie me réjouit profondément. Je me sens fier d'être homme, je me sens répondre à la fierté de Dieu quant à l'homme.<br /> <br /> J'aime la vie monastique, mais l'on me dit que j'ai choisi une communauté. Est-ce bien sûr ? Prenons de la distance avec la communauté, sans quitter la vie monastique, pour voir si ma déconnade vient de moi, de la communauté, ou de la vie monastique.<br /> <br /> Lorsque je rencontre le p. Abbé, je lui propose de me laisser rejoindre pour quelques mois la communauté de Dom Ambrose Southey, ex abbé général de l'ordre. Refus du p. Abbé, "ça ne résoudrait rien." Jérôme : bien sûr : il t'aurait donc permis de comparer et de t'interroger sur sa gestion à lui, voire de la faire connaître à Dom Ambrose ! De plus, tu ne lui as pas donné le choix, tu menais ta barque presque sans lui, crime de lèse-abbatiat. <br /> <br /> Le p. Abbé n'hésite pas un instant, ne s’interroge pas avec moi sur une autre communauté. A brûle pourpoint il me propose une formation de CAP de forestier. Alors, je choisis entre la certitude d'être malheureux et la possibilité d'être heureux. "S'il en est ainsi, je pars." Sa réponse : "Tu es libre." Dois-je y lire aujourd'hui "tire-toi !" ? <br /> <br /> Avec le recul, j'ai quitté le chemin de la vie monastique où le p. Abbé me barrait la route. Le p. Abbé me semble avoir tenu le chemin où l'homme n'a pas foi en l'homme. J'ai choisi le chemin de ne me distinguer en rien de tout un chacun sur cette terre. « Si Dieu m'accompagne, alors mon chemin d'homme sera un chemin main dans la main avec lui ».<br /> <br /> J'ai eu foi en Dieu qui a foi en l'homme. C'est Lui mon Dieu.<br /> <br /> D'où vient ma tristesse ?<br /> <br /> D'avoir eu ma route barrée. Je ne sais si j'étais fait pour devenir moine et que ma route fût barrée par un homme particulier. Je ne sais si le charisme de l'OCSO (Ordre Cistercien de la Stricte Observance, les Trappistes) n'était pas le mien. Je ne sais si le charisme de l'OCSO est humain ou non. Le scriptorium, l'agacement de l'étude en groupe. Le silence, vis-à-vis d'un frère souffrant. La grâce qui serait manifestée dans une négation de l'humain. Nier l'humain pour manifester la grâce, n'est-ce pas tenter Dieu ?<br /> <br /> D'avoir vu des frères aimés laminés et détruits. De voir mes frères avoir perdu la joie. D'être témoin d'une souffrance collective.<br /> <br /> D'être le témoin d'une attrition drastique et d'un vieillissement sévère. Bricquebec, Aiguebelle, La Trappe.<br /> <br /> D'où vient ma joie ?<br /> <br /> De voir que Dieu, fidèle à sa promesse, m'a sorti de l'impasse, comme un oiseau j'ai échappé au filet du chasseur, le filet s'est rompu, j'ai échappé par un chemin que je n'ai pas reconnu comme tel jusqu'à ces derniers jours. Mon refus d'être laminé était inspiré d'une connaissance de Dieu vivifiante.<br /> <br /> Qui étais-je pour dire qu'à la Trappe on se trompait de chemin ? Aujourd'hui, je pose la question. Sans savoir qui est ce "on" qui se trompe de chemin. Moi ? le p. Abbé de l'époque ? la communauté ? l'Ordre ?<br /> <br /> C'est loin de la Trappe que je marche debout, vivant, heureux, accompagné par des frères qui croient en Dieu qui croit en l'homme.
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P
En lieu et place de "rêve", lire "phantasme".<br /> <br /> Père Abbé, quelle était votre foi en l'homme ? Pour vous, comment la grâce pouvait-elle s'incarner dans l'office, la responsabilité, le travail ? Affecter un frère à un travail pour lequel il est moins fait, proposer à un frère une formation éloignée de ses goûts et des besoins de la communauté, quel en était le propos ?<br /> <br /> "Cela te rend-il heureux ?" n'a pas fait partie de l'arsenal de votre discernement, je le crains.<br /> <br /> Quelle était votre foi en l'homme ?
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Ils amènent l'ânon (...) et Jésus s'assit dessus. Marc 11, 7.
  • Mes commentaires interlinéaires de quelques textes bibliques, lus de façon synchronique (le texte tel qu'il apparaît), et autres ressentis que les évènements m'inspirent. Après tout, ne suis-je pas prêtre, prophète et roi, comme toi ?
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